Au cours des quinze dernières années, le PIB par habitant de la Wallonie a régressé de 4% en proportion de la moyenne européenne des 28. Le revenu par habitant des wallons a reculé par rapport à la moyenne belge. La productivité des travailleurs wallons a baissé. L’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles s’est enfoncé dans les classements PISA. Les entreprises wallonnes demeurent parmi les moins numérisées du nord de l’Europe. 

Depuis le début des années 2000, pratiquement aucun indicateur macroéconomique wallon n’a redressé la tête.

La seule amélioration notable, et récente, concerne l’évolution du taux de chômage au cours des quatre dernières années. Celle-ci, néanmoins, s’opère partiellement en trompe-l’oeil, flattée notamment par des re-calculs administratifs. Si le chômage baisse, le taux d’emploi wallon frémit à peine. Il a progressé de moins d’un pourcent sur la période, et ne dépasse toujours pas les 64%. En 1999, lors du lancement du Contrat d’avenir pour la Wallonie, les autorités wallonnes s’étaient pourtant fixées pour objectif d’atteindre un taux d’emploi de 70% à l’horizon… 2010. 

 

Accumulation de réformes

 

Les mondes politique et patronal wallons ne sont pourtant pas demeurés les bras croisés au cours de deux décennies écoulées.

Le plan Marshall, adopté en 2005, avait l’ambition de remettre en ordre de marche un tissu industriel wallon trop éparpillé et désordonné. De même, les initiatives volontaristes se sont multipliées pour accroître l’usage des outils numériques dans les administrations ou les entreprises. Dans l’Enseignement, le rythme des nouveaux plans et réformes a doublé, entre 1998 et 2015.

Pourtant, aucune de ces grandes réformes n’a débouché sur une amélioration profonde de la réalité de terrain.

Comment l’expliquer ?

Les idées de départ sont souvent pertinentes.

Le processus de mise en oeuvre de ces idées, par contre, ne l’est pas.

 

Délégation de responsabilités

 

Prenons le plan Marshall : au cours des 14 années écoulées, les pôles de compétitivités, fer de lance de la relance économique de la Région par l’innovation, ont englouti plus de 700 millions d’euros. En 2014, cependant, à peine 19 nouvelles entreprises avaient vu le jour dans le foulée du plan Marshall.

Le gouvernement wallon s’est déchargé sur un jury de la responsabilité des sélections de projet, en laissant voguer le navire… D’année en année, les mêmes organismes, principalement les universités et centres de recherche, ont engrangé les financements. Très, trop, peu de PME. L’impact en termes de redéploiement économique est donc resté faible.

Toutes ces années, les signaux d’alarme ont retenti, à travers les rapports d’évaluation et les retours du terrain. Les autorités wallonnes n’ont toutefois adopté aucune mesure de correction sérieuse. Elles ont laissé les choses se poursuivre en se contentant d’assurer le service de communication.

In fine, le modèle ne fonctionne pas.

La proportion d’entreprises innovantes par rapport au total des entreprises actives dans la Région reste, aujourd’hui, très inférieure à la moyenne belge, montrent les chiffres de l’Iweps.Malgré les crédits du plan Marshall, les universités francophones créent toujours très peu d’entreprises spin-offs.

Certes, les universités sont mal financées et les crédits du plan Marshall leurs sont précieux. Ces institutions pourraient cependant résoudre certains problèmes d’elles-mêmes, en se coordonnant et en cessant d’organiser des filières redondantes. Mais elles s’y refusent, préférant se faire la guerre, à l’instar de l’UCL et l’ULB, à Bruxelles.

Pendant ce temps, les autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles restent au balcon, considérant que l’affaire concerne les deux acteurs ou, pire, se contentant de prendre la défense du représentant de leur pilier historique.

Cette attitude est-elle à la hauteur des enjeux ?

Les évaluateurs indépendants ne le pensent pas.

 

Pilotage défaillant

 

Que ce soit pour le plan Marshall, le suivi du chantier du RER, l’instauration d’une véritable politique numérique en Wallonie et bien d’autres domaines, les rapports d’évaluation rédigés par les experts extérieurs révèlent quasi systématiquement la même chose : le manque de pilotage des réformes et des dossiers par les gouvernements wallons ou de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les évaluateurs déplorent ainsi l’absence d’exigences fixées à ceux chargés de mettre en place les réformes. Ils regrettent l’implication limitée des autorités wallonnes par rapport au suivi des objectifs.

Le monde politique wallon fait des constats mais laissent à d’autre le soin de résoudre les problèmes.

Dernièrement, le cheminement des travaux du Pacte d’excellence de l’Enseignement a encore illustré ce processus.

« Je n’ai pas écrit une ligne du Pacte d’excellence », se vante, la ministre de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles.

La ministre revendique un rôle de simple porte-parole des « acteurs de l’enseignement », pas de pilote d’une réforme dont elle porterait véritablement la vision.

Résultat, après des années de concertation, le Pacte est un pavé hybride composé de mesures plus symboliques que structurantes. Le texte ignore les questions clés auxquelles se sont attaquées les pays ayant réformé avec succès leur système d’enseignement, telles que : l’augmentation de la motivation des élèves, via des pédagogies plus actives; le renforcement de la motivation des enseignants, à travers la transformation des modèles de carrière; la mise en place d’une porosité réelle des réseaux d’enseignement; le regroupement des filières de formation professionnelle sous-fréquentées,… pour ne prendre que quelques exemples.

Ces domaines sortent visiblement de la zone de confort des acteurs traditionnels de l’Enseignement (représentants des réseaux et syndicats, notamment). Peu ou rien, donc, à leur sujet. La majorité francophone ne s’en émeut pas. Elle ne tient pas les commandes.

 

Problème de gestion et de gouvernance

 

Mêmes causes, mêmes effets.

Le plan wallon du numérique, voté au début de la décennie, est resté lettre morte. Les entreprises et les écoles wallonnes restent, en 2019, parmi les moins digitalisées d’Europe. Pas de suivi. Pas de pilotage. Pas de responsabilisation.

Aucun plan de relance n’a réellement abouti.

Le Wallonie souffre d’un problème de gouvernance qui empêche les contre-pouvoirs et les systèmes d’alerte de fonctionner convenablement.

Mais le problème ne se limite pas à cela.

La Région  souffre tout autant d’un déficit de gestion de ses grandes réformes.

Depuis le début de la régionalisation, Namur se contente de relever les compteurs tous les dix ou quinze ans, pour observer amèrement que les objectifs sont à nouveau manqués…  Remettra-t-on le couvert après les élections régionales de mais 2019 ?

A ce jour, le sujet n’est en tout cas évoqué dans aucun débat électoral. Hélas.

 

Jean-Yves Huwart

Auteur de « Pourquoi la Wallonie ne se redresse pas ? – Récit de quinze années de tentatives vaines » (2019)

https://pourquoiwallonieneseredressepas.be

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